Lequel a raison ?
À la fin du mois d’août 1910, un article paraît dans l’Écho du Finistère. On y apprend qu’une jeune femme de vingt-et-un ans, Marie GUERNIGOU, vient de porter plainte contre son mari, Jacques FLOCH, quarante-deux ans, retraité de la légion étrangère. Ils sont mariés depuis environ un an. Marie se plaint d’avoir été frappée et menacée de mort pour son époux. Une enquête est ouverte pour savoir lequel a raison.
L’Echo de Finistère– Août 1910- AD29
Les époux FLOCH
Jacques FLOCH vient au monde le lundi 16 mars 1868 à Morlaix. Il est le fils de Jean-Marie FLOCH, tonnelier de vingt-cinq ans et de Marie-Madeleine ROBIN, ouvrière en tabac de vingt-sept ans. Il est le troisième enfant du couple.
Jacques s’engage dans la marine à Morlaix, le samedi 20 novembre 1886. Il a dix-huit ans et devance sa classe d’appel (1888) de deux ans.
Jacques mesure 1,58 m. Il est châtain aux yeux bleus, a le front bombé, la bouche et le nez moyens, un menton rond et le visage ovale. Il sait lire.
Comme on peut le voir sur son signalement, Jacques a littéralement la marine dans la peau ! Sur sa poitrine, il a le tatouage d’un navire et d’un matelot, un autre matelot sur le bras droit et une ancre sur le bras gauche. Il effectue toute sa carrière dans l’armée.
Extrait fiche matricule- AD29- Cote 1 R 1045– Vue 373
Marie Marguerite GUERNIGOU naît le mercredi 4 janvier 1888, à Ploujean. Elle est la fille de Pierre GUERNIGOU, jardinier de quarante-deux ans et de Françoise L’HOSTIS, ménagère de quarante-deux ans. Elle est la dernière et huitième enfant du couple.
Jacques FLOCH, quarante-et-un ans, retraité de la légion étrangère, épouse Marie Marguerite GUERNIGOU, vingt-et-un ans, le lundi 12 juillet 1909 à Ploujean.
La Place et l’église- Ploujean- AD29- Cote 2 Fi 200/2
Dix mois après cette union, le jeudi 5 mai 1910, Marie met au monde son premier enfant, un petit garçon, prénommé Adolphe François FLOCH. Malheureusement, le garçonnet ne survit pas et décède le lundi 8 août 1910, à l’âge de trois mois.
Un drame de la jalousie
Quelques jours après la parution de l’article du 20 août, le couple fait de nouveau parler de lui.
Marie et sa mère, Françoise, viennent trouver refuge dans le débit de boissons d’Eulalie DANO car Jacques les menace de mort. Ce dernier entre dans le débit et leur demande de rentrer à la maison, tout en les intimidant. Un client, Jean LE BER, intervient et le met à la porte.
Furieux, Jacques rentre chez lui et s’empare d’un couteau. Il vient se poster devant le débit de boissons, et attend pendant deux heures que quelqu’un en sorte.
À huit heures trente du soir, son attente prend fin. Jean sort et Jacques en profite pour lui sauter dessus. Il lui donne un violent coup de couteau dans l’abdomen. Marie, Françoise, Eulalie et d’autres clients, alertés par les cris, sortent à leur tour du débit. Jacques se jette sur Marie. Il lui donne des coups de pieds et des coups de couteaux dans la cuisse. Jeune et agile, Marie échappe à son époux.
Les premiers soins sont prodigués à Jean. Dans le même temps, on fait prévenir le docteur PROUFF. Sur place, il fait un pansement sommaire au blessé et donne l’ordre de le conduire à l’hospice de Morlaix.
Jacques est immédiatement arrêté. Les témoins le présentent comme un détraqué, violent et jaloux.
La victime, Jean LE BER est âgé de trente-trois ans. Né en 1877 à Pleyber-Christ, il est veuf depuis trois ans. Ses enfants, Yves-Marie et Jean-Marie, ont respectivement huit et six ans. Jean est ouvrier saboteur1 au chemin de fer, sur la ligne Morlaix – Plestin.
Le samedi 24 septembre 1910, nous apprenons dans la presse que Jean est hors de danger. Sa sortie de l’hospice est une question de jour. Il va pouvoir retrouver ses enfants.
L’affaire la plus importante de l’audience
Le Tribunal Correctionnel de Morlaix juge l’affaire de Jacques FLOCH le vendredi 7 octobre 1910. Il s’agit, selon la presse, de l’affaire la plus importante de l’audience. En effet, les trois autres jugements du jour concernent des vols et un vagabondage.
Le jugement est relativement clément. Le Tribunal condamne Jacques à quatre mois de prison pour coups et blessures volontaires. En comparaison, l’un des coupables d’un vol d’un sac de pommes de terre est condamné à trois mois de prison…
Une fois sa peine effectuée, Jacques rentre chez lui.
En 1912, il habite à Brest. Il y décède le vendredi 22 mars, à neuf heures du matin, au 59 de la Rue Pasteur. Il vient tout juste d’avoir quarante-quatre ans. Lors de son décès, son épouse, Marie GUERNIGOU, est enceinte de son deuxième enfant.
Marie donne naissance à un second garçon, le vendredi 5 juillet de la même année, à Morlaix. Le nouveau-né est prénommé Pierre.
Malheureusement, tout comme son frère aîné, le petit Pierre ne survit pas à sa première année. Il décède à l’âge de huit mois, le 16 mars 1913, à Ploujean, chez sa grand-mère maternelle, Françoise LHOSTIS.
Un an et sept mois plus tard, Marie décède à son tour. La mort survient à l’hospice de Morlaix, le lundi 2 novembre 1914. Marie a vingt-six ans.
Son décès marque la fin d’un enchaînement d’événements tragiques.
Jean LE BER, quant à lui, quitte le Finistère et se rend en région parisienne. Il participe à la Première Guerre Mondiale, dans le 31ᵉ Régiment d’Infanterie, puis dans la 24ᵉ section des C.O.A (Commis et Ouvriers Administratifs). Il recevra de la Médaille Commémorative.
- Ouvrier saboteur : Chargé de poser des sabots métalliques pour arrêter les trains ↩︎
Article écrit dans le cadre des ateliers blog de CLG Formation-Recherches.
Il n’y aura malheureusement pas de « happy end » à cette histoire. Mais en tout cas le dossier est clos et bien mené. Bravo !
Merci Régis 🙂
Et non pas de « Happy End ». Petite consolation en sachant que Jean LE BER a pu se rétablir et retrouver ses enfants.
Une chouette étude des protagonistes d’un faut divers! On a leur vie d’avant et même celle d’après. Bien joué! La pauvre Marie est décédée jeune quand même….
Petite coquille dans la phrase commençant par « en 1912 », le mot « est » est en trop 😉
Merci David 🙂
Je n’ai pas pu m’empêcher de creuser. Et encore, je me suis limité, car j’avais commencé à détailler avec les différents recensements. Jacques et Marie vivaient séparément.
La petite faute est corrigée 😉
Très bel article bien documenté. Malheureusement un siècle plus tard on peut toujours voir des histoires similaires. La société n’évolue pas très vite sous certains aspects.
Merci Magali 🙂
Je me suis fait la même réflexion en travaillant sur cet article.