
Prisonnier de guerre
Dans cet article, je vais vous présenter un prisonnier de guerre, Louis JACQ. Cet homme m’est totalement inconnu. Pourquoi ce choix ?
J’aurais pu prendre un de mes ascendants, l’exercice aurait été plus simple. Mon choix s’est porté sur cet inconnu tout simplement, car il n’a plus personne pour parler de lui. Il n’a pas de descendant, ni neveux, ni nièces pour le faire.
Voici la partie de sa vie que j’ai pu reconstituer à partir d’archives en ligne.
L’enfance de Louis JACQ
Louis JACQ voit le jour le mardi 28 octobre 1902, à six heures du matin. Il est le fils de Jean-Marie, journalier de quarante-cinq ans et d’Isabelle ABYVEN, ménagère de trente-cinq ans.
Louis est le quatrième enfant du couple. Avant lui sont nés :
– Anne, le 24 décembre 1894 ;
– Charles, le 27 mai 1898, mort le 25 janvier 1899 ;
– Hervé, le 15 mai 1900.
Louis a quatre ans à la naissance de son petit frère, Hamon-Marie le 22 septembre 1906. Malheureusement, le bébé ne survit pas et décède la semaine suivante.
La famille vit au centre-ville de Saint-Pol-de-Léon, à quelques pas de la cathédrale Saint Paul-Aurélien

Cathédrale Saint Paul-Aurélien- Saint-Pol-de-Léon- Archives Départementales du Finistère- Cote 2 Fi 259/18
Le service militaire
En 1922, il est l’heure pour Louis de quitter sa famille et de rejoindre l’armée pour son service militaire. Louis est un jeune homme mesurant 1,65 m, ayant les cheveux blond foncé et les yeux gris. Il sait lire et écrire.
Le 5 novembre, il est incorporé au 118ᵉ Régiment d’Infanterie, à Quimper. Louis arrive au corps le 17 du mois, en tant que soldat de 2ᵉ classe.
Le 20 octobre 1923, il quitte le 118ᵉ RI pour rejoindre le 124ᵉ RI, puis revient l’année suivante au 118ᵉ RI.
Entre le 20 mai 1923 et le 16 janvier 1924, il effectue son service au pays rhénan.
Le 24 juin de cette année-là, il peut rentrer chez lui à Saint-Pol-de-Léon et revient vivre avec ses parents.
Sa sœur, Anne, est domestique et ne vit plus au domicile familial. Son frère, Hervé, atteint « d’aliénation mentale » demeure à l’asile Saint-Athanase de Quimper.
Hervé décède à l’asile le 29 septembre 1933, à l’âge de trente-trois ans.
Deux ans plus tard, dans l’après-midi du 2 mars 1935, Louis est présent à la mairie. Il vient déclarer le décès de son père, Jean-Marie, mort le matin même, à l’âge de soixante-dix-sept ans.
Vendredi 1ᵉʳ septembre 1939. L’Allemagne envahit la Pologne, ce qui déclenche la Seconde Guerre Mondiale. Louis a trente-six et dix mois. La semaine suivante, il est rappelé à l’activité.
Prisonnier de guerre
Le 8 septembre 1939, Louis intègre la 6ᵉ compagnie du 441ᵉ Régiment de Pionniers.
Les régiments de pionniers sont en théorie des unités non combattantes. Les hommes sont des travailleurs en charge des travaux de renforcement et d’aménagement des zones de défenses (creusement de tranchées, garde de pont, dépôts d’essence et de munitions…). Souvent rattachés au Génie, les régiments, viennent, en cas de besoin, soutenir les régiments d’infanteries.
Le Stalag IV-D…
Le 16 septembre 1939, Louis part aux armées. Tout juste six mois plus tard, le 15 juin 1940, il est fait prisonnier à Orléans, bombardée dans la nuit.
Comme beaucoup de ses camarades, Louis est conduit en Allemagne. Il effectue sa captivité à Torgau, au Stalag IV-D, à 20km de Leipzig.

Carte indiquant les Stalags- Stalag IV-D ; Ville d’ANDENNE – BIBLIOTHECA ANDANA
Le Stalag de Torgau n’est pas un camp de prisonniers à proprement parler. Il sert plutôt de « plateforme de distribution » pour envoyer les prisonniers dans les fameux kommandos.
Dans ces unités, les soldats captifs effectuent des travaux dans les fermes ou dans tous les chantiers nécessitant de la main-d’œuvre. Les hommes dépendant du Stalag IV-D sont répartis dans un rayon de 160 km dans les environs Torgau.
Au camp de base, sur les 13 853 hommes, seulement 300 sont présents au Stalag (effectif au 15 juillet 1944).
Il n’y a pas d’indication supplémentaire concernant la captivité de Louis. Je sais simplement qu’il dépend du Stalag IV-D.
La vie au Stalag
Au camp de base, la vie s’organise. Les Français présents vivent dans deux salles d’une ancienne fabrique de drapeaux, à 300 m de la gare.
Officiellement, le logement est convenable. Mais le Livre d’or des prisonniers de guerre français donne un tout autre aperçu de la vie dans le camp.
En voici un extrait :
Notre Stalag est tout petit. Nous sommes installés dans les bâtiments d’une ancienne fabrique, près de la gare. Deux étages seulement nous sont réservés ; le rez-de-chaussée appartient aux services. Sous le tout en terrasse, une chambre immense abrite ces cages à lapins qu’il faut bien appeler lits, ainsi que le réfectoire. Les passages sont si étroits que, lorsqu’il y a affluence, il faut jouer à chat-perché pour créer un sens unique indispensable […].
Livre d’or des prisonniers de guerre français– Ville d’ANDENNE – BIBLIOTHECA ANDANA
Une petite pièce contiguë, appelée pompeusement « Salle des Fêtes », sert le Dimanche matin de chapelle et donne asile au jeu de ping-pong, aux répétitions, aux conférences, aux buveurs de bière et à la cantine. Autel et bar se touchent du coude et écrasent de leur majesté l’humble vitrine où s’alignent les objets les plus divers.
Malgré les conditions difficiles, les prisonniers essaient de garder leur sens de l’humour.


Images extraites du Livre d’Or des prisonniers de guerre français- Ville d’ANDENNE – © BIBLIOTHECA ANDANA
Ils organisent aussi des parties de foot, des expositions de peintures et dessins, ou encore des pièces de théâtre. Il faut bien évidemment s’occuper des costumes et des décors.

Exemple d’un décor et costumes de théâtre au Stalag IV-D- Extrait du Livre d’Or des prisonniers de guerre français- Ville d’ANDENNE – © BIBLIOTHECA ANDANA
Au camp, le théâtre n’est pas seulement un jeu, c’est un peu de l’esprit français mis en lumière et en image, devant de nombreux spectateurs, devant des étrangers. Il se doit donc de représenter le meilleur de nous-même : Noblesse oblige.
Extrait du Livre d’Or des prisonniers de guerre français- Ville d’ANDENNE – BIBLIOTHECA ANDANA
En plus de la vie qu’ils organisent dans le camp, les soldats captifs ont la possibilité de communiquer avec leurs proches. Un soldat a le droit d’envoyer deux lettres et deux cartes par mois (après vérification bien sûr !)
C’est par ce moyen que Louis apprend le décès de sa mère, Isabelle ABYVEN, le 24 novembre 1940. De toute sa famille, il ne lui reste plus que sa sœur aînée, Anne.
Les hommes du IV-D ont également lancé leur propre journal, intitulé Echo IV D.
Comme tout journal, on y trouve des nouvelles de la vie quotidienne, des petites annonces, des dessins humoristiques et des grilles de mots croisés pour les cruciverbistes.

Extrait du journal Echo IV D- Ville d’ANDENNE – © BIBLIOTHECA ANDANA
Voilà quelques éléments qui rythment la vie d’un soldat français au Stalag IV-D.
… ou le Stalag IV-B ?
La fiche matricule indique que Louis est prisonnier au Stalag IV-D, certes. Mais je pense qu’il s’agit seulement d’un des camps dans lequel il s’est trouvé.
D’après la liste officielle des prisonniers de guerre, Louis aurait été au Stalag IV-B, à Mülhberg. Cette liste date du 21 mars 1941. Le IV-B sert théoriquement de camp de rassemblement pour les prisonniers à rapatrier.
Louis a bien été rapatrié, mais seulement le 18 mai 1945.
Une erreur s’est glissée quelque part, mais où ? Mystère !
De prisonnier à garde
À son retour, la guerre est finie, mais il reste encore des prisonniers dans les camps français.
À sa demande, Louis est de retour sous les drapeaux en tant que garde des prisonniers de guerre. Le 20 juin 1945, il arrive au camp de Pleyber-Christ.

Carte extrait du site Mémoire de Guerre- ©Maxime Le Poulichet et Jean Paul Louvet
En 1945, le camp compte 2070 prisonniers. D’après une visite cette année-là, les conditions de vie des prisonniers sont désastreuses.
Louis y reste seulement deux mois avant d’être démobilisé le 21 août.
L’après-guerre
N’ayant plus d’obligation militaire, Louis rentre à Saint-Pol-de-Léon. Il ne se mariera pas.
Louis finit sa vie à l’hospice de Kersaudy (faisant aujourd’hui les fonctions d’EHPAD). Il y décède le 18 novembre 1963, à l’âge de soixante-et-un ans.
Sa sœur, Anne, reste, elle aussi, célibataire et décède le 9 septembre 1964, à l’âge de soixante-dix ans.
Article écrit dans le cadre des ateliers blog de CLG Formation-Recherches.
Je remercie la Bibliothèque Andana de m’avoir autorisée à réutiliser leurs documents. N’hésitez pas à consulter leur site ici, si vous effectuez des recherches sur les Stalags.
Antoine de St Exupéry a dit « Un homme n’est jamais tout à fait mort tant qu’il y a quelqu’un pour prononcer son nom ». Grâche à toi Noëline, Louis Jacq n’est plus tout à fait mort aujourd’hui. Bravo et merci pour ce bel article !
Merci beaucoup Olivier 😊
Je ne pourrais pas mieux le dire qu’Olivier au-dessus mais c’est vrai que tu as redonné vie à Louis Jacq. Combien sont-ils à être tombés dans l’oubli ? Grâce à toi il y en a un de moins (et même beaucoup plus si on compte tous les Jacq, parents et enfants disparus sans descendance). Merci pour ce beau récit.
Merci Magali. C’est ma petite contribution au devoir de mémoire 😊
Bonjour Noëline.
Merci pour ce travail de mémoire.
Petit complément et correction au sujet des régiments de pionniers.
Ces régiments étaient directement rattaché aux régiments d’infanterie, ils ont remplacé les RIT de la grande guerre.
Les tâches allouées aux pionniers sont diverses : creusement de tranchées, garde de pont, protection des cantonnements, garde des dépôts d’essence et de munitions, travaux agricoles.
Christophe
Bonjour Christophe,
Merci pour ce complément 🙂 Je vais rectifier de ce pas !
Très bel article agréable à lire.
Bravo Noëline !
Merci Véronique, contente qu’il te plaise 🙂